Mercredi 5 juin – 19h30 : Après une navigation de 53 milles (à peine plus de la distance de Marseille à Porquerolles), arrivée à Cefalù. Mouillage par 3 m de fond sur une grande plage à 10 milles juste avant la ville.
Jeudi 6 juin – Les moustiques se sont manifestés cette nuit, c’est bon signe, si on peut dire. Très tôt, avant de sauter à l’eau (elle est gelée cette fois), j’ai préparé un petit plateau avec quelques gâteaux soigneusement mis de côté (et drôlement bien conservés). J’ai écrit quelques « Joyeux anniversaire ! », planté quelques bougies en sentinelle sur les cerises confites. (Qui reconnaît ses pithiviers ???). Les jeunes se lèvent tard, nous avons le temps. Puis le rideau de la couchette de Sébastien s’est ouvert, apparaît alors son sourire de tous les jours, il vise le plateau, surpris et tout gêné. « Joyeux anniversaire, Sébastien ! ». En face de lui, Lucas fait le jaloux : « Tu en as de la chance, toi ! ». Pierre prépare le petit déj’, Sébastien a voulu aller sur la plage avec les palmes et à toute vitesse. On voit le fond, bien sûr, l’eau est propre, mais il ne voit pas devant lui et n’aime pas ça. Des pêcheurs envoient leur filet tout autour de nous. Toutes les demi-heures, ils remontent trois ou quatre kilos de poissons. Sébastien s’est séché. Il me demande alors si on est le 7 juin. « Non, le 6. Nous sommes jeudi 6, pardi. – Mais je suis né le 7 … » J’ai dû faire une drôle de mine, c’est sûr. Alors il s’empresse de rajouter, car il a bon cœur, Sébastien, il ne nous en veut pas : « Mais c’est pas grave … ». Effectivement, il y a pire, d’ailleurs nous remettrons ça demain.
Nous avons mis le moteur en route et nous nous sommes dirigés vers le petit port situé derrière le cap où l’on peut admirer la ville qui nous fait face. Elle est très belle, grimpe à flanc d’un grand rocher qui domine la baie. On distingue très nettement une imposante cathédrale au milieu des habitations qui s’étendent serrées tout autour sur le coteau, puis le phare de Cefalù qu’on voit de loin, en mer. En bas, une jolie baie de sable blanc. Le tout dans la douce luminosité d’un ciel brumeux.
On n’a jamais vu un port aussi pittoresque que celui de Cefalù. Bordé de hautes rocailles qui se terminent en jolies plagettes de sable clair, le port est tout petit, accueille des bateaux de pêcheurs aussi bien que quelques bateaux de plaisance. L’entrée n’est pas évidente car le plan des instructions nautiques n’a rien à voir avec la réalité. Il y a du ressac par vent d’est et l’Aloha remue sur ses amarres mais le vent n’est pas très fort.
Les jeunes sont aussi ravis que nous, ils croient avoir découvert le paradis, ça fait plaisir à entendre. En un clin d’œil, nous voilà amarrés et prêts pour la découverte. Il est 10h30. Il faut juste contourner le promontoire pour atteindre la ville en cinq minutes. Un bar restaurant particulièrement bien situé et bordé d’arbres domine la mer et un morceau du cap. Nouvelles exclamations : « Un café ici, franchement, on pourrait pas espérer mieux ! » c’est notre Lucas, bien sûr, Sébastien n’oserait pas. Message reçu … Après tout, c’est le pré-anniversaire de Sébastien, ça nous donne des idées. Mais pour l’instant, nous faisons mine de rien. On ne va pas s’arrêter au premier bistrot venu. L’intérieur de Cefalù est vraiment un plaisir de ruelles étroites et bien quadrillées, aux balcons et protège-soleil à l’italienne. Ça monte et ça descend et nous flânerons là toute la journée. A la fin, le charme est un peu rompu car des cars entiers de touristes de toutes nationalités déferlent, les magasins de souvenirs vendent les mêmes bricoles, et la période estivale ne bat pas encore son plein ! Et nous, nous en avons des têtes de Siciliens ?
Vendredi 7 juin – 6h30 : Durant nos croisières, c’est notre grand plaisir de balader au petit matin tandis que les équipiers dorment. Et les nôtres, sans rompre avec les habitudes, ne se lèvent pas aux aurores. D’autant qu’hier soir, nous ne les avons pas entendu rentrer. Ils aiment les digues, il paraît que celle d’Arbatax était la meilleure. Le soleil se lève tôt ici, nous sommes plus à l’est. En revanche, il fait nuit plus tôt et c’est notoire. Cefalù est bien réveillée, nous ne croisons que des locaux. Un gars pousse sa brouette de poissons. Je lorgne sur ses sardines brillantes et il l’a bien vu, mais il a aussi de beaux merlans et de petites crevettes fraiches du coin. Chaque fois qu’on se retourne, il est derrière nous, met sa brouette à l’ombre à l’angle d’une rue, tire sur son mégot. Au café, il est encore là, l’air de rien. C’est vraiment tentant. A Marsala, on avait acheté de magnifiques daurades, du thon, du noir de sèche, de l’espadon fumé. Sébastien ne connaît pas les poissons, il en mange une fois par an (on n’est pas obligé de le croire). Mais, c’est dit, il préfère la viande. Les jeunes ont d’ailleurs eu droit à un cours, comment reconnaître une daurade à sa bague sur le nez, comment la découper dans son assiette etc. Quelques courses de légumes. Des gâteaux pour l’anniversaire (le vrai) de Sébastien (il a reçu des cartes et il est tout heureux). Après les culurgionis de Tortoli (sorte de grosses ravioles sculptées en forme de feuilles et fourrées de patate, de ricotta et de basilic, jamais vu ailleurs), après les capedezzi de Marsala (beignets de ricotta et chocolat), voici les fameux canollo de Sicile et autres inconnus (c’est un nœud papillon fourré de crème très sucrée aux amandes, spécial …).
9h00 : nos équipiers viennent à notre rencontre sur le quai, ils veulent faire un dernier tout sur la digue (une dernière cigarette …). Rangement des courses, dernier nettoyage à l’eau douce, poubelles …
Départ par très petit temps de NE. Depuis Marsala, le vent s’est calmé, la mer est belle, nous faisons des traversées de 53, 58, 56 milles, des sauts de grandes puces.
A midi, nous dégustons nos sardines à l’ombre, sur le pont, à l’avant du bateau. Un cadeau pour Sébastien : un pot de Nutella ! et un plateau de gâteaux, la fête … Nous faisons route au 67, vers les îles éoliennes, et avons dû mettre au moteur car la brise est trop faible. Pierre avait sorti le spi mais il ne tient plus.
Aujourd’hui, les jeunes ont repris leurs livres. Après avoir chacun épuisé la série de mangas, Lucas a attaqué Les Enfants du Cap Horn, Sébastien a terminé son pavé Les Piliers de la Terre de Ken Folett. Et sur nos conseils, il a commencé ce merveilleux roman d’amour tant méconnu Dracula. Pierre vient de terminer Le Feu d’Héraclite de ce scientifique à la tête plutôt bien faite Erwin Chargaff. Et moi, je n’ai pas pu lire deux livres depuis le départ. Et Sébastien de s’étonner, curieux : « Mais pourquoi tu ne lis pas ? ». Innocente question …
A 14h00, on distingue dans la brume, à 10° nord l’île d’Alicudi, une demie heure plus tard Filicudi plus à droite. Puis Salina et Lipari encore plus à droite. Nous visons devant nous Vulcano, cratère qui est sorti de mer en 153 AC, et qui émerge peu à peu dans l’après-midi du ciel voilé. On ne pourra voir ni Panaréa ni Stromboli qui sont derrière. Nous arriverons à la nuit tombée, c’est la nouvelle lune en plus, et ferons un mouillage de nuit à Vulcano.